Aimer, c’est ce qu’il y a de plus beau

30 septembre 2014

Bordel, j’aurais dû prévoir un parapluie.

Une lourde averse s’abat sur moi alors que je m’apprête à rentrer du centre-ville. La pluie est si violente que je cours vers l’abri le plus proche, une cabine téléphonique, afin de m’abriter. En refermant la porte vitrée, je remarque que je ne suis pas seul à l’intérieur : une jolie brune s’est également réfugiée ici, et nous échangeons tout les deux un sourire devant cette situation hasardeuse et subitement intimiste.

Je ne sais pas si c’est ce sourire partagé, ce contexte favorable ou alors simplement cette fille  qui me mettait naturellement à l’aise, mais j’eus directement la confiance nécessaire pour entamer la conversation. D’ordinaire peu confiant avec la gent féminine, c’est comme si cette fois-ci les mots sortaient de ma bouche de façon innée, comme si j’étais subitement devenu drôle et intéressant pour une fille aussi belle. La lueur de son visage me confortait dans cette idée. Lorsque nous terminâmes cette discussion en échangeant nos numéros de téléphone, la pluie avait déjà cessé depuis une dizaine de minutes.

23 janvier 2015

Bordel, je n’ai jamais ressenti ce que je ressens actuellement.

Suite à l’épisode de la cabine téléphonique, nous nous sommes revus régulièrement pendant deux semaines, sans qu’il ne se passe rien excepté des moments de complicité et de séduction qui se suffisaient à eux-mêmes. Ce n’est que le 13 octobre que nous nous étions embrassé pour la première fois, sans jamais savoir qui avait embrassé l’autre tant cela fut si soudain, nos deux corps ayant pris le dessus sur nos esprits trop timides.

Cela faisait donc maintenant quelques mois que nous étions ensemble et tout semblait sortir tout droit d’un conte de fées ; chaque moment, ne serait-ce que le plus anodin, se transformait en aventure à ses côtés, chaque instant, ne serait-ce que le plus bref, me faisait réaliser que j’avais envie de n’être nulle part ailleurs qu’ici, avec elle. Entendre son rire était devenu l’une de mes raisons de vivre, tout comme la surprise qui se lisait sur son visage lorsque je lui offrais des cadeaux ou l’emmenais dans des périples inattendus. Et je ne parle même pas de la fréquence ni de la qualité de nos rapports sexuels, qui dépasse l’entendement… C’est une époque où je me réveillais le cœur bondissant de mille feux, et où je m’endormais le cœur davantage ardent. Nous nous regardions constamment dans les yeux comme lors de notre première rencontre, et j’avais l’impression qu’il n’y avait pas plus beau visage que le sien.

 

5 avril 2015

Bordel, ma vie connaît un gros chamboulement et ça ne m’effraie même pas.

Elle m’ouvre la porte de son appartement, et j’éprouve toujours la même sensation de félicité en la voyant, comme si la plus belle fille du monde était mienne. Aujourd’hui, ses yeux mêlent curieusement excitation et appréhension : elle m’annonce qu’elle est enceinte. Je ne suis qu’un chômeur de 26 ans, ce n’est qu’une étudiante de 21 ans ; mais nous nous aimons. Reniant mes préjugés sur les jeunes qui font des gosses, je la serre dans mes bras en lui susurrant que le fruit de notre amour sera le plus bel enfant que la Terre ait jamais connu.

 

18 mai 2034

Bordel, il est minuit, il faut que je rentre chez moi sinon la grognasse va encore gueuler.

Les temps ont bien changé depuis vingt ans, et je ne parle pas seulement des voitures qui se sont mis à voler dans le ciel, du nouveau sélectionneur des Bleus Pascal Dupraz ou des seins tombants d’Amélie dans les Anges de la Télé-réalité 26 ; non, je veux dire par là que je me suis lassé de ma femme. Je ne sais pas quand cela a commencé, peut-être à partir du moment où, renonçant à ses études et surtout à notre vie sexuelle, elle avait consacré sa vie à s’occuper de notre petit garçon, bientôt rejoint par deux sœurs. De plus, les grossesses avaient fané sa beauté, ravagé son corps et évaporé la lueur enfantine de son visage.

Sitôt après avoir minutieusement ouvert la porte d’entrée, un rouleau de pâtisserie manque de peu d’éclater mon nez. La rombière, affublée de sa robe de chambre infâme et de ses bigoudis, vocifère d’emblée en me demandant si j’avais vu l’heure et que j’aurais au moins pu la prévenir. Il faut dire que pour fuir cette créature laide et acariâtre, je passe l’essentiel de mon temps après le boulot au PMU de Gisèle, régulièrement attablé avec Gérard, La Miche et Jackie à refaire le monde.

Éméché, je lui dis de fermer sa gueule mais elle n’entend rien, alors, d’un geste rempli de pédagogie, je lui met une beigne afin de la calmer. Elle court se cacher dans la chambre en sanglotant que ce n’était pas cette vie qui lui était destinée. Bon débarras. J’en profite alors pour allumer l’ordinateur du salon pour me fignoler sur un porno bien cradingue, vu que la fréquence de nos rapports sexuels était devenue aussi faible qu’un djihadiste à qui on aurait coupé la barbe. Une fois cette basse besogne assouvie, je me rendis compte qu’il n’y avait plus de sopalin ; ce boudin qui faisait office de femme ne ramenait même pas de fric à la maison mais n’était en plus pas fichue d’aller faire les courses correctement. Le pantalon baissé jusqu’aux chevilles, je me mis à chercher un vieux vêtement pour m’essuyer et je tombais sur un foulard en soie que je lui avais offert il y a bien longtemps. Je le salissais sans hésiter, puis, après m’être rappelé de cette époque bienheureuse où le monde ne semblait pas avoir de prise sur notre amour, je fondis en larmes.

… Bordel, j’aurais vraiment dû prévoir un parapluie ce 30 septembre 2014.

 

Je te laisse, je viens de trouver l’amour alors qu’attablé aux Délices de Byzance, j’attendais plutôt que l’on me serve mon kebab sauce samouraï.

L’Homme-Crabe

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